vendredi 6 janvier 2012

ON NE S'EN LASSE PAS !

Les Nymphéas


C'est avec un émerveillement et un éblouissement toujours renouvelés que nous regardons les reflets et les inflorescences que Monet réussit à fixer sur ses toiles en revenant indéfiniment sur le motif, dans cet atelier en plein air qu’était le jardin de Giverny.
Au musée Marmottan, une partie de cette aventure esthétique complète l'ensemble de l'Orangerie des Tuileries, que Monet annonça ainsi à son vieil ami Clemenceau :
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« Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs que je veux signer le jour de la Victoire et viens vous demander de les offrir à l’État, par votre intermédiaire ; c’est peu de chose mais c’est la seule manière que j’ai de prendre part à la victoire.
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Je vous admire et vous embrasse de tout mon cœur. »


La promesse fut tenue, non sans difficultés, compte tenu du caractère de ces deux augustes vieillards et de la cataracte qui assombrit les dernières années de la vie de Monet ; celui-ci avait fini par écouter les conseils de son ami, qui fut brièvement médecin dans sa jeunesse, mais le résultat de la première opération ne fut pas totalement satisfaisant et ce fut le moment où Monet voulut renoncer.
La plume de Clemenceau redevient alors celle du Tigre :
« Si vieux, si entamé qu'il soit, un homme, artiste ou non, n'a pas le droit de manquer à sa parole d'honneur, surtout quand c'est à la France que cette parole fut donnée. »
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Mais l'affection revient après ce coup de semonce, et chacune des lettres de Clemenceau en témoigne :
« Bonsoir Monet. Travaillez, travaillez. C'est la plus belle chose qu'il y ait dans le monde. J'embrasse votre vieille barbe jaunie par la fumée du tabac. »
Et l'ironie qui masque l'émotion : « Vénérable débris, votre lettre m'a fait un inexprimable plaisir parce que je vous ai retrouvé tel que dans les bons temps. Du train dont vous allez, vous êtes fichu de ne pas mourir, ce qui finirait par vous embêter gravement. »

Mais le « pauvre vieux crustacé » se décide à mourir le 6 décembre 1926. Le jour de son enterrement, Clemenceau, devant le cercueil drapé de noir de son vieil ami, prend une draperie fleurie pour l'en couvrir en disant : « Pas de noir pour Monet ».

En 1928, Clemenceau publie un petit ouvrage Les Nymphéas. En voici quelques lignes :
« Voir, n'était-ce pas comprendre ? Et pour voir, rien que d'apprendre à regarder... L'eau buvait la lumière et la transposait, la sublimait au plus vif... Aspects toujours changeants d'un univers qui s'ignore et cependant s'exprime en nos sensations.
Voilà ce qu'a découvert Monet en regardant le ciel dans l'eau de son jardin. »


Un autre admirateur de Monet en parle en des termes plus "impressionnistes", avec une écriture qui crée une atmosphère concentrée, saturée de couleurs et de parfums : il s'agit de Marcel Proust. La cadence de ses longues phrases et l'extrême attention portée aux choses les plus infimes du quotidien lui font comprendre d'instinct le sens de la recherche entreprise par Monet et les impressionnistes.
« ...Et soit que pendant l'après-midi, il fit étinceler sous les nymphéas le kaléidoscope d'un bonheur attentif, silencieux et mobile, ou qu'il s'emplît vers le soir du rose et de la rêverie du couchant, changeant sans cesse pour rester toujours en accord, autour des corolles de teintes plus fixes, avec ce qu'il y a de plus profond, de plus fugitif, de plus mystérieux - avec ce qu'il y a d'infini - dans l'heure, il semblait les avoir fait fleurir en plein ciel. »

Aujourd'hui, cependant, le choix de faire l'accrochage de Monet au premier niveau du musée plutôt que dans les grandes salles du sous-sol ne semble pas une bonne idée, Les Nymphéas ont besoin d'espace pour s'épanouir et continuer à nous faire rêver !!

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