dimanche 29 janvier 2012

EXPÉDITION À MÉNILMONTANT

  • Vous avez dit Ménilmontant ??
Eh oui, Paris recèle bien des trésors et quelques petits coteaux escarpés. La toponymie s'en fait l'écho, et l'ascension de la rue de Ménilmontant vous amène... rue des Pyrénées, pas loin de la rue des Cascades ! Le tout sous un petit crachin des plus vivifiants. 
Quelle idée pour un samedi matin, mais le rendez-vous valait la peine, au Pavillon Carré de Baudouin, petite folie du 18ème siècle, bien restaurée.


  • Les architectures visionnaires de Marcel Storr
Voilà la raison de cette équipée : Marcel Storr (1911-1976), dessinateur de génie, inventeur d'architectures démesurées tracées avec une minutie et une précision du détail hallucinantes. Totalement inconnu, enfant de l'Assistance Publique matricule 202 292, devenu sourd sans doute suite aux mauvais traitements infligés dans son enfance et par conséquent illettré, Marcel Storr était cantonnier au bois de Boulogne. Autodidacte inspiré et méthodique, il n'a cessé depuis les années 30 jusqu'à sa mort de dessiner des églises, des tours, des villes avec une progression remarquable de la qualité de ces dessins qu’il mettait en couleur au fur et à mesure de sa progression sur le papier.
Les débuts sont encore assez naïfs mais après la Seconde Guerre Mondiale, l'inspiration et la technique se perfectionnent et l'on regrette de ne pas avoir d'idées plus précises sur son travail, resté inconnu jusqu'en 1971.
Marcel Storr travaillait en deux temps, dessinant d’abord, puis coloriant ensuite, parfois à mesure, sa composition. C’est sans doute pour cette raison qu’il lui arrive de signer plusieurs fois. À la fin il passait, sauf sur le ciel, un vernis qu’il égalisait au fer chaud. Chaque dessin pouvait lui prendre de deux à quatre mois, parfois davantage, et certaines œuvres ont été reprises à différentes périodes ou sont restées inachevées. Toutes ne sont pas datées et parfois celles qui le sont comportent aussi un nombre dont nous n’avons pas retrouvé la clef.

  • La révélation
Liliane et Bernard Kempf, amateurs d'art, ont été les dépositaires de cette œuvre découverte par hasard en 1971. Marcel Storr s'était marié avec Marthe, gardienne d'une école du 9ème arrondissement. Liliane Kempf était présidente de l'association de parents d'élèves et un soir la gardienne lui montre les œuvres de Marcel :
Je tourne les pages, choc, émotion, émerveillement, je lui dis mon admiration !
« Il faut que je voie votre mari.
-Vous n’y pensez pas, il ne veut montrer ça à personne, il serait furieux s’il savait que vous l’avez vu ».

Liliane gagne la confiance de Marcel Storr et il lui confiera son œuvre intégralement.

  • L'exposition
Marcel Storr aurait aujourd'hui cent ans. 
Les transformations si rapides de notre monde lui auraient sans doute inspiré bien d'autres architectures visionnaires, lui qui fut tellement frappé par l'invention de la bombe atomique :
                                Quand Paris sera détruit
                                par la bombe atomique,
                                le Président des États-Unis
                                viendra me voir et
                                on pourra tout reconstruire
                                avec mes dessins.
De même, la vision des premières tours de la Défense lui inspira ces mégapoles démesurées, peuplées de créatures microscopiques. « Vous savez, je suis un génie ! »

Alors, n'hésitez pas, partez à l'assaut des pentes de Ménilmontant pour découvrir le pavillon Carré de Baudouin, et les architectures délirantes et rigoureuses issues de l'esprit fertile de Marcel Storr. Il rejoint la cohorte de tant d'artistes méconnus, enfermés dans leur trouble et leur angoisse, et qui survivent en les couchant sur le papier. Sans aucune formation technique ou académique, le cantonnier du bois de Boulogne a réalisé une œuvre d'une grande richesse, formelle et chromatique, qui nous réjouit le temps de notre visite.

Dubuffet avait baptisé cette expression artistique si particulière et ignorée de tous, l'Art Brut : l'appellation n'est pas très parlante, mais elle rend compte de la puissance d'un jaillissement créateur, d'une énergie vitale absolument époustouflante.

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