samedi 18 février 2012

LE RETOUR DE L'ART BRUT

Phénomène passager dans un temps confronté à la barbarie et à la folie des hommes, quête d'un espace où le calcul et la préméditation n'ont pas eu cours tant que les marchands du temple ne s'en sont pas occupés ?

  • Expositions en nombre
Marcel Storr, dont je parlais récemment, l'exposition du Couvent des Cordeliers, Gaston Chaissac à la galerie Louis Carré... Indéniablement, l'art dit brut connaît un regain d'intérêt. La création d'un département d'art brut au LAM de la Villeneuve d'Ascq, la mobilisation autour de la "cathédrale" de Jean Linard, à Neuvy-Deux-Clochers dans le Cher, l'exposition de la Halle Saint-Pierre qui devient un des hauts lieux de l'art brut à Paris.

  • La première collection
En 1945, le peintre Jean Dubuffet donne la première définition de l'art brut qu'il a découvert dans ses visites de cliniques psychiatriques et d'asiles en Suisse, marchant ainsi sur les traces des premiers médecins qui s'étaient penchés sur cette production artistique très particulière et inclassable, cet "art des fous" selon le Dr Hans Prinzhorn dans lequel il pressentait quelque chose de formidable. Les nazis et leur propagandiste redoutable, Ernst Goebbels, dans leur logique démoniaque, mettront cet art au cœur de leur exposition "L'Art dégéneré" en 1937, pour démontrer la supériorité de la tradition allemande classique. Dubuffet parle ainsi, dans le Manifeste qui accompagne la première exposition à Paris en 1949 :
« Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. »
Il s'agit donc d'une expression artistique à "l'état de nature", totalement spontanée, sorte d'auto-thérapie pour exorciser angoisses et souffrances par un autre moyen que la parole, l'ancêtre de l'art-thérapie, en quelque sorte. En 1948, avec Jean Paulhan et André Breton, Dubuffet crée la Compagnie de l'Art brut qui va poursuivre l'enrichissement de la collection, aujourd'hui visible à Lausanne.
Cette collection renferme des œuvres de tous les artistes dont il a pu avoir connaissance. Peut-on parler d'un courant artistique, non, sans doute pas mais il y a bien quelques points de convergence : tous ces artistes souffrent de troubles psychiques graves, vivotent dans un asile ou grâce à un petit emploi parviennent à se débrouiller. Ils travaillent sur des matériaux de récupération : vieux papiers, bouts de bois, carton, filet, se procurent de la couleur comme ils peuvent et les résultats sont inattendus...
Des princesses d'Aloïse Corbaz aux poupées magiques d'Auguste Forestier ; des architectures minutieusement restituées mais imaginaires de Marcel Storr aux constructions hors norme du facteur Cheval ou de Jean Linard ; des dessins saturés de signes graphiques (notes, lettres, motifs) de Wölfli aux dictées des anges d'Augustin Lesage scrupuleusement organisées ; des fusils de récupération d'André Robillard à l'univers innocemment pervers de la saga imaginée par Henry Darger, l’extraordinaire variété de ces œuvres surprend ainsi que la qualité de leur réalisation avec des moyens rudimentaires et sans aucune formation : un art "premier" peut-être ?

Séraphine de Senlis
Aloïse Corbaz
Auguste Forestier
Wölfli
Augustin Lesage
André Robillard
Henry Darger

  • Le marché
    Innocence et pureté de l'art brut menacées par le mercantilisme et le snobisme d'élites auto-proclamées en quête de légitimité culturelle ?
    Engouement passager pour un art abordable et lisible, au risque pour celui-ci de perdre son âme en devenant objet de musée, sous cloche et sous clé ?
    Ou bien, est-ce une étape à franchir, nécessaire à la reconnaissance et à la protection de cette expression artistique atypique et surtout de ses créateurs peu au fait des arcanes et arnaques du marché de l'art ? Certes, la spéculation va s'en emparer, les prix vont monter pendant quelques temps puis la coterie des faiseurs de mode ou de tendance passera et l'art brut restera...

    Louis Soutter
    Alors, profitez des derniers jours de l'exposition des   dessins de Marcel Storr à Ménilmontant en   attendant que s'ouvre au mois de juin l'exposition   que la Maison Rouge d'Antoine de Galbert consacre   à Louis Soutter, un des grands noms de cet art brut.


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    Pour s'y retrouver :
    L'Art brut de Françoise Monnin
    Coll. Tableaux choisis
    Ed. Scala - 1997

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