mercredi 29 février 2012

ARCHITECTURE : La plus haute récompense

Wang Shu, lauréat de la Médaille Pritzker que l'on qualifie souvent de prix Nobel de l'architecture

La Fondation Hyatt a désigné l'architecte chinois Wang Shu, 48 ans, comme le lauréat du prix Pritzker 2012 pour l’ensemble de son œuvre. Il recevra un chèque de 100 000 dollars et une médaille honorifique le 25 mai prochain à Pékin.

« Comme dans toute grande architecture, l’œuvre de Wang Shu est capable de transcender le débat entre tradition et modernité, en produisant une architecture qui est hors du temps, profondément ancrée dans son contexte et pourtant universelle. »
Lord Palumbo, président du jury


Modernité et tradition dans un savant mélange de cultures, une architecture à forte identité nationale mais totalement novatrice et accessible dans notre espace mondialisé. L'architecture est un des moyens de créer une cohérence et une appartenance dans nos espaces urbanisés, hyper-densifiés où chacun peut trouver son rythme et son refuge. Nous savons à quels défis la poursuite de l'urbanisation nous confronte, en particulier pour maintenir un équilibre entre espace urbanisé et espace agricole et rural, sous peine de très graves pénuries alimentaires. La Chine, puissance émergente et géant démographique, dont le taux d’urbanisation reste inférieur à la moyenne mondiale est et sera particulièrement concernée par ces enjeux formidables. Elle n'aura donc pas trop de talents à solliciter pour y faire face.

Pour découvrir l’œuvre de Wang Shu, une visite sur le site de la fondation Hyatt s'impose.
Beaucoup de photos, mais affûtez votre anglais ou alors passez au chinois !
www.pritzkerprize.com/


ARCHITECTURE DES MUSÉES : extensions hors les murs...

Après le Guggenheim, le Louvre, Beaubourg, c'est au tour de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg de s'offrir une escapade vers la Hollande.
Amsterdam s'offre un petit morceau de l'Ermitage et des somptueuses collections de Catherine II, exposées parfois pour la première fois aux yeux du public.
Peintures, objets d'art... un univers de raffinement, de luxe et de talent qui montre combien l'influence française et occidentale était importante en Russie à la fin du 18ème siècle.
Ces richesses feront l'objet de deux accrochages différents cette année, de quoi consoler les touristes dépités de la fermeture pour travaux d'une grande partie du Rijksmuseum. La visite de l'Ermitage d'Amsterdam, installé dans un bâtiment du 17ème, totalement rénové, devrait les séduire.


Bonne visite virtuelle !


Exhibition Programme - Hermitage Amsterdam 2012-2014
Rubens, Van Dyck & Jordaens : jusqu'au 15 juin 2012
Impressionism: Sensation & Inspiration : 16 juin 2012 – 13 janvier 2013
Van Gogh-collection : 29 septembre 2012 – 25 avril 2013
Peter the Great : 23 février 2013 – 13 septembre 2013
Gauguin, Bonnard, Denis : 14 septembre 2013 – 12 mars 2014

ARCHITECTURE ET POLITIQUE : chantiers ministériels

Deux ministères de première importance démarrent le chantier de leurs nouveaux bâtiments, dont les travaux vont durer des mois, compte tenu de l'ambition et de la taille des ensembles architecturaux prévus. En ces temps de crise, de politique de rigueur et de réduction des dépenses de l’État, ces chantiers pharaoniques peuvent laisser perplexe. En outre, dans le climat d'une campagne électorale hargneuse et de peu de hauteur de vue, ce type de décision controversée n'est pas sans risque, d'autant que la polémique est là, tant sur le plan architectural que politique et la justice se penche sur les conditions d'attribution des deux marchés à la firme Bouygues.

  • Ministère de la Défense
Architecte : Nicolas Michelin, agence A/NM/A.

Peu connu du grand public, ayant plutôt travaillé en province (le Centre Pompidou de Metz est une de ses dernières réalisations) et à l'étranger, cette agence s'est vu confier l'immense territoire longé par le boulevard des Maréchaux où va s'édifier ce que l'on surnomme déjà le Pentagone français.



Les formes retenues par l'architecte s'inscrivent dans cette école attachée aux formes organiques, en arrondis savants et courbes asymétriques.


  • Ministère de la Justice
Un très grand nom de l'architecture mondiale pour ce deuxième chantier : Renzo Piano, très connu des Parisiens et parfois très critiqué puisqu'il partage la paternité du Centre Beaubourg, qui n'en finit pas de soulever la controverse!

Loin des formes organiques de Nicolas Michelin, Piano nous offre un bâtiment massif, austère, digne de rivaliser avec la forteresse de Bercy, qui donne une image bien raide de la justice...


Projets à suivre bien que l'inspiration ne semble guère avoir beaucoup soufflé sur ces gigantesques réalisations.

ARCHITECTURE ENCORE...

Petit reportage en deux temps, auprès d'une étrange structure en cours de construction au Jardin d'Acclimatation, où l'on retrouve la fluidité et la rigueur chères à Franck Gehry.



Oui, c'est un croquis, point de départ de ces formes étonnantes qui exigent une compétence technique exceptionnelle de la part des ingénieurs.

Photos en pj (deux fichiers) sur www.ecoledirecte.com

mardi 21 février 2012

DISSIDENCE

"Nos amis chinois", pour reprendre une expression caractéristique de la langue de bois pour désigner les autorités de ce grand pays, laissent filtrer de plus en plus d'informations de toutes natures sur leur pays, en dépit du contrôle omniprésent des moyens de communication et plus précisément de l'Internet. Il y a deux ans, une chaise vide à Stockholm, faisait résonner dans le monde entier ce nom : Liu Xiaobo, prix Nobel de la Paix, détenu dans les geôles chinoises.
Aujourd'hui, un autre nom retentit sur les cimaises du Jeu de Paume et le journal Libération lui consacre un numéro spécial.
Photo prise par Aï Weiwei spécialement pour "Libé"























«Crabe de rivière se dit "hexie" en chinois : c'est le mot vulgaire pour "censure" car sa prononciation en chinois est la même que celle du mot "harmonie". Or le gouvernement chinois invoque depuis 2004 la nécessité d'une "société harmonieuse" ("hexie shehui") pour justifier la censure qu'il impose. Par dérision, les internautes ont adopté cet euphémisme.» Aï Weiwei
n
  • Tradition familiale ?
Son père, poète célèbre, ayant vécu à Paris dans les années 1930, a connu les camps de rééducation à l'époque de Mao. Sa famille l'a suivi dans cette prison ouverte du désert de Gobi. Malgré cette notoriété de mauvais aloi, Aï Weiwei part à New York en 1981, à l'âge de 25 ans, après avoir fait des études de cinéma à Pékin. Il abandonne alors la peinture pour la photo et mitraille New York et les New-yorkais.
De retour en Chine en 1993, il devient un artiste renommé, au cœur des avant-gardes chinoises et publie trois ouvrages fondamentaux sur ce sujet.
Entre provocations ignorées par le pouvoir et notoriété de son travail d'architecte autodidacte, il arrive à la dénonciation publique du régime, lors des J.O. de Pékin, avec l'inauguration du "nid" auquel il a travaillé avec le cabinet suisse Herzog et de Meuron.

  • Un artiste inclassable
Aï Weiwei photographie le monde, les hommes et lui-même. L'autoportrait tient une place majeure dans son œuvre, ainsi que le nu. Il y a là une quête de vérité, de transparence, d'humanité, toutes choses dont le gouvernement chinois lui paraît cruellement manquer. Après les J.O., son blog, autorisé en 2004, est interrompu. Désormais, la répression et la censure ne le lâchent plus et Twitter prend le relais... L'année dernière, Aï Weiwei a été arrêté alors qu'il prenait l'avion pour Hong-Kong et détenu 81 jours, interrogé, maltraité, passé à tabac et au final condamné à payer des sommes faramineuses pour fraude fiscale.

« Ce pays dépense la moitié de son énergie à empêcher les gens d'accéder à l'information ou de communiquer entre eux. L'autre moitié de son énergie sert à envoyer en prison ceux d'entre nous qui détiennent l'information et qui cherchent à la transmettre. » Aï Weiwei

En conclusion, pour revenir sur la question de l'utilité de l'art, en voici une facette : un moyen de résister à l'oppression non-violent et efficace. Et Aï Weiwei cite Marcel Duchamp comme un de ses maîtres !

« Les réponses finissent toujours par parvenir à ceux qui posent des questions, tout comme le vrai pouvoir finit toujours par être détenu par ceux qui l'exercent. Et c'est en fin de compte toujours à nous qu'échoit la tâche de montrer la perversité du mal et les souffrances qu'il inflige. Ce principe moral incontournable constitue l'une des règles les plus fascinantes. »

samedi 18 février 2012

LE RETOUR DE L'ART BRUT

Phénomène passager dans un temps confronté à la barbarie et à la folie des hommes, quête d'un espace où le calcul et la préméditation n'ont pas eu cours tant que les marchands du temple ne s'en sont pas occupés ?

  • Expositions en nombre
Marcel Storr, dont je parlais récemment, l'exposition du Couvent des Cordeliers, Gaston Chaissac à la galerie Louis Carré... Indéniablement, l'art dit brut connaît un regain d'intérêt. La création d'un département d'art brut au LAM de la Villeneuve d'Ascq, la mobilisation autour de la "cathédrale" de Jean Linard, à Neuvy-Deux-Clochers dans le Cher, l'exposition de la Halle Saint-Pierre qui devient un des hauts lieux de l'art brut à Paris.

  • La première collection
En 1945, le peintre Jean Dubuffet donne la première définition de l'art brut qu'il a découvert dans ses visites de cliniques psychiatriques et d'asiles en Suisse, marchant ainsi sur les traces des premiers médecins qui s'étaient penchés sur cette production artistique très particulière et inclassable, cet "art des fous" selon le Dr Hans Prinzhorn dans lequel il pressentait quelque chose de formidable. Les nazis et leur propagandiste redoutable, Ernst Goebbels, dans leur logique démoniaque, mettront cet art au cœur de leur exposition "L'Art dégéneré" en 1937, pour démontrer la supériorité de la tradition allemande classique. Dubuffet parle ainsi, dans le Manifeste qui accompagne la première exposition à Paris en 1949 :
« Nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écriture, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. »
Il s'agit donc d'une expression artistique à "l'état de nature", totalement spontanée, sorte d'auto-thérapie pour exorciser angoisses et souffrances par un autre moyen que la parole, l'ancêtre de l'art-thérapie, en quelque sorte. En 1948, avec Jean Paulhan et André Breton, Dubuffet crée la Compagnie de l'Art brut qui va poursuivre l'enrichissement de la collection, aujourd'hui visible à Lausanne.
Cette collection renferme des œuvres de tous les artistes dont il a pu avoir connaissance. Peut-on parler d'un courant artistique, non, sans doute pas mais il y a bien quelques points de convergence : tous ces artistes souffrent de troubles psychiques graves, vivotent dans un asile ou grâce à un petit emploi parviennent à se débrouiller. Ils travaillent sur des matériaux de récupération : vieux papiers, bouts de bois, carton, filet, se procurent de la couleur comme ils peuvent et les résultats sont inattendus...
Des princesses d'Aloïse Corbaz aux poupées magiques d'Auguste Forestier ; des architectures minutieusement restituées mais imaginaires de Marcel Storr aux constructions hors norme du facteur Cheval ou de Jean Linard ; des dessins saturés de signes graphiques (notes, lettres, motifs) de Wölfli aux dictées des anges d'Augustin Lesage scrupuleusement organisées ; des fusils de récupération d'André Robillard à l'univers innocemment pervers de la saga imaginée par Henry Darger, l’extraordinaire variété de ces œuvres surprend ainsi que la qualité de leur réalisation avec des moyens rudimentaires et sans aucune formation : un art "premier" peut-être ?

Séraphine de Senlis
Aloïse Corbaz
Auguste Forestier
Wölfli
Augustin Lesage
André Robillard
Henry Darger

  • Le marché
    Innocence et pureté de l'art brut menacées par le mercantilisme et le snobisme d'élites auto-proclamées en quête de légitimité culturelle ?
    Engouement passager pour un art abordable et lisible, au risque pour celui-ci de perdre son âme en devenant objet de musée, sous cloche et sous clé ?
    Ou bien, est-ce une étape à franchir, nécessaire à la reconnaissance et à la protection de cette expression artistique atypique et surtout de ses créateurs peu au fait des arcanes et arnaques du marché de l'art ? Certes, la spéculation va s'en emparer, les prix vont monter pendant quelques temps puis la coterie des faiseurs de mode ou de tendance passera et l'art brut restera...

    Louis Soutter
    Alors, profitez des derniers jours de l'exposition des   dessins de Marcel Storr à Ménilmontant en   attendant que s'ouvre au mois de juin l'exposition   que la Maison Rouge d'Antoine de Galbert consacre   à Louis Soutter, un des grands noms de cet art brut.


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    Pour s'y retrouver :
    L'Art brut de Françoise Monnin
    Coll. Tableaux choisis
    Ed. Scala - 1997